En décembre 2016, la sortie de WordPress 4.7 provoqua une onde de choc dans la communauté des créateurs de contenu. Deux boutons familiers de l’éditeur TinyMCE disparurent soudainement : le soulignement et la justification du texte. Cette décision radicale, loin d’être anodine, reflétait une vision spécifique de l’expérience utilisateur web et déclenchait des débats passionnés qui résonnent encore aujourd’hui en 2025, même avec l’éditeur Gutenberg désormais installé comme standard.
Comment WordPress 4.7 a bouleversé les habitudes de rédaction
Les utilisateurs qui ouvraient leur éditeur WordPress au lendemain de la mise à jour découvraient avec stupéfaction une barre d’outils épurée. Les boutons permettant de souligner le texte et de le justifier avaient purement et simplement disparu. Pour ceux qui utilisaient régulièrement ces fonctions, particulièrement dans des contextes professionnels ou académiques, cette suppression ressemblait à une amputation brutale de leurs outils habituels.
Andrew Ozz, développeur principal travaillant sur l’intégration de l’éditeur TinyMCE dans WordPress, expliqua les raisons de cette décision controversée. Selon lui, le texte souligné créait une confusion chez les lecteurs qui l’interprétaient systématiquement comme un lien hypertexte cliquable. Cette ambiguïté représentait un problème d’ergonomie web fondamental que WordPress souhaitait résoudre en supprimant purement et simplement la fonctionnalité problématique.

Le bouton de justification du texte disparaissait pour des motifs différents mais tout aussi défendables. Les différents navigateurs interprétaient la justification de manière incohérente, produisant des résultats visuels variables d’un environnement à l’autre. Sur certains navigateurs, le texte justifié créait des espaces disgracieux entre les mots, nuisant à la lisibilité plutôt que de l’améliorer. WordPress privilégiait donc une approche minimaliste centrée sur des styles de formatage universellement bien supportés.
Cette philosophie s’inscrivait dans une vision plus large de l’expérience web. WordPress adoptait résolument une approche centrée sur la lisibilité et l’accessibilité plutôt que sur la reproduction à l’écran des conventions typographiques du papier. Les boutons conservés – gras, italique, listes, citations – représentaient les outils essentiels d’une mise en forme web efficace. Tout le reste devenait superflu, voire contre-productif selon cette logique.
Pourquoi le soulignement pose vraiment problème sur le web
L’argument contre le soulignement mérite un examen approfondi car il touche aux conventions fondamentales de navigation web. Depuis les premiers navigateurs des années 1990, les liens hypertextes apparaissent soulignés par défaut. Cette convention visuelle s’est ancrée profondément dans les habitudes des internautes au point de devenir un réflexe conditionné : texte souligné égale lien cliquable.
Utiliser le soulignement pour simplement mettre en évidence du texte ordinaire trompe donc les attentes des utilisateurs. Ils cliquent instinctivement sur ce texte souligné, ne comprennent pas pourquoi rien ne se passe, et ressentent une frustration qui dégrade leur expérience. Cette confusion, multipliée par des millions d’utilisateurs quotidiens de sites WordPress, justifiait selon l’équipe de développement la suppression du bouton.
Les alternatives au soulignement abondent dans le vocabulaire typographique web. Le gras permet d’attirer l’attention sur des mots importants. L’italique souligne une nuance ou une emphase subtile. Les surlignages de couleur peuvent mettre en évidence des passages entiers. Toutes ces options évitent la confusion avec les liens tout en remplissant efficacement la fonction de mise en relief recherchée.
Les designers web professionnels évitent d’ailleurs systématiquement le soulignement pour du texte non cliquable depuis des années. Les guides de style et les bonnes pratiques d’accessibilité web recommandent explicitement de réserver le soulignement aux liens. WordPress ne faisait donc qu’entériner et encourager une pratique déjà largement répandue dans l’industrie, même si cette position heurtait les habitudes d’utilisateurs venus du traitement de texte traditionnel.
Pourquoi la justification crée des problèmes de lisibilité
La justification du texte, si naturelle dans les livres imprimés et les documents Word, s’avère problématique dans l’environnement web pour des raisons techniques et ergonomiques spécifiques. Sur papier, la justification fonctionne grâce à des algorithmes sophistiqués de césure et d’espacement qui distribuent harmonieusement les blancs entre les mots et même entre les lettres. Les logiciels de PAO professionnels comme InDesign gèrent ces subtilités avec finesse.
Les navigateurs web, en revanche, implémentent la justification de manière beaucoup plus rudimentaire. La plupart se contentent d’étirer les espaces entre les mots sans toucher aux césures, créant des « rivières » blanches disgracieuses qui serpentent verticalement dans le texte. Ces irrégularités visuelles fatiguent l’œil et ralentissent la lecture, particulièrement sur les écrans où la largeur de colonne peut varier considérablement selon le dispositif utilisé.
La justification pose des problèmes encore plus aigus sur mobile. Les colonnes étroites des smartphones amplifient les défauts de la justification web, créant parfois des lignes avec seulement quelques mots étirés jusqu’à l’absurde. Le texte perd toute élégance et devient difficile voire pénible à lire. Dans un monde où plus de la moitié du trafic web provient désormais de dispositifs mobiles, ignorer ces considérations serait irresponsable.
L’accessibilité constitue une autre dimension du problème. Les personnes dyslexiques, qui représentent une proportion significative de la population, trouvent le texte justifié particulièrement difficile à déchiffrer. Les espacements irréguliers perturbent leur processus de lecture déjà laborieux. Les standards d’accessibilité web recommandent explicitement d’éviter la justification pour faciliter la lecture au plus grand nombre. WordPress, en supprimant ce bouton, alignait ses pratiques sur ces recommandations.
Comment récupérer ces fonctions si vous en avez vraiment besoin
Malgré les arguments techniques et ergonomiques, certains utilisateurs ont des besoins légitimes de souligner ou de justifier leur texte. WordPress n’a pas complètement supprimé ces capacités mais les a rendues moins accessibles, obligeant les utilisateurs à des démarches plus conscientes pour les activer.
Les raccourcis clavier continuent de fonctionner parfaitement dans WordPress, même après la disparition des boutons visuels. Sur Windows, sélectionner du texte et appuyer sur Ctrl+U le souligne. Sur Mac, la combinaison Cmd+U produit le même effet. Ces raccourcis fonctionnent dans l’éditeur classique comme dans les blocs classiques de Gutenberg. WordPress a retiré le bouton mais conservé la fonctionnalité sous-jacente, privilégiant ainsi les utilisateurs avertis tout en décourageant l’usage par défaut.
L’éditeur de texte brut, accessible via l’onglet « Texte » dans l’éditeur classique ou en basculant vers le mode code dans Gutenberg, permet un contrôle total via HTML. Entourer du texte avec les balises <u> et </u> le souligne. Pour la justification, ajouter l’attribut style="text-align: justify;" à un paragraphe produit l’effet désiré. Cette approche nécessite certes une connaissance basique du HTML, mais elle offre une précision impossible à atteindre avec de simples boutons.
Les plugins viennent à la rescousse des utilisateurs récalcitrants qui refusent d’abandonner leurs outils familiers. Le plugin « Re-add Text Underline & Justify » restaure exactement les boutons supprimés dans WordPress 4.7, fonctionnant avec l’éditeur classique comme avec le bloc classique de Gutenberg. Installation en un clic, activation, et les boutons réapparaissent comme par magie dans la barre d’outils.
Le plugin « Gutenberg Block Editor Toolkit – EditorsKit » va plus loin en ajoutant de nombreuses options de formatage à l’éditeur Gutenberg moderne. Le soulignement et la justification se trouvent dans le menu déroulant des outils supplémentaires de chaque bloc. Bien que ce plugin n’ait pas toujours été testé avec les toutes dernières versions de WordPress, il continue généralement de fonctionner correctement et reste activement utilisé par des milliers de sites.
Comment Gutenberg a perpétué cette philosophie minimaliste
L’arrivée de l’éditeur Gutenberg en WordPress 5.0 en décembre 2018 aurait pu représenter une opportunité de reconsidérer ces décisions de design. Cet éditeur révolutionnaire, basé sur des blocs plutôt que sur un champ de texte unique, redessinait complètement l’expérience de création de contenu. Pourtant, l’équipe de développement maintint fermement sa position concernant le soulignement et la justification.
Gutenberg pousse même plus loin la philosophie minimaliste inaugurée dans WordPress 4.7. Chaque type de bloc propose uniquement les options de formatage pertinentes pour son usage spécifique. Un bloc de paragraphe standard offre le gras, l’italique et quelques autres options basiques. Cette limitation volontaire vise à encourager les créateurs à se concentrer sur le contenu plutôt que de se perdre dans des détails de mise en forme.
Les thèmes WordPress modernes s’alignent également sur cette vision épurée. Les feuilles de style définissent l’apparence globale du contenu, laissant peu de place à des variations typographiques anarchiques introduites par les créateurs individuels. Cette séparation stricte entre contenu et présentation, principe fondamental du web sémantique, permet une cohérence visuelle à travers tout le site et facilite les changements de thème sans casser la mise en page.
L’éditeur complet FSE (Full Site Editing) introduit progressivement dans les dernières versions de WordPress accentue encore cette tendance. Les créateurs définissent des styles globaux au niveau du thème, appliqués automatiquement à tout le contenu. Les interventions ponctuelles de formatage au niveau des blocs individuels deviennent l’exception plutôt que la règle. Cette approche systémique produit des sites plus cohérents visuellement mais réduit la liberté de formatage locale.
Pourquoi certains utilisateurs restent frustrés par ces choix
La controverse autour de la suppression de ces boutons n’a jamais complètement disparu. Les commentaires sur les plugins de restauration témoignent d’une frustration persistante, certains utilisateurs qualifiant la décision de WordPress d’idiote ou d’arrogante. Cette réaction émotionnelle révèle une tension profonde entre deux visions du web et de la création de contenu.
Les utilisateurs venus du monde du traitement de texte ou de l’édition traditionnelle apportent avec eux des conventions typographiques ancrées depuis des décennies. Souligner les titres, justifier les paragraphes, contrôler minutieusement chaque aspect visuel du document font partie intégrante de leur pratique professionnelle. Découvrir que WordPress refuse ces outils leur semble une limitation arbitraire et frustrante de leur créativité.
Les besoins spécifiques de certains types de contenu expliquent également la persistance de cette demande. Un site académique publiant des articles scientifiques peut légitimement souhaiter reproduire les conventions typographiques des revues imprimées. Un site juridique doit parfois respecter des normes de présentation strictes. Un blog littéraire peut rechercher une esthétique particulière. Ces cas d’usage spécialisés justifient des outils de formatage avancés que WordPress standard ne fournit plus.
La philosophie de liberté et de flexibilité historiquement associée à WordPress entre parfois en tension avec cette approche prescriptive. WordPress s’est construit sur la promesse de démocratiser la publication web, permettant à chacun de créer exactement le site qu’il imagine. Retirer des options de formatage au nom de bonnes pratiques peut sembler paternaliste, imposant une vision unique du « bon » design web à une communauté diverse avec des besoins variés.
Comment contourner ces limitations avec du CSS personnalisé
Pour les utilisateurs qui maîtrisent un minimum de CSS, des solutions plus élégantes que les plugins existent pour obtenir précisément la mise en forme souhaitée. Cette approche nécessite certes des connaissances techniques mais offre un contrôle total et évite d’alourdir le site avec des plugins supplémentaires.
L’onglet CSS additionnel du customiseur de thème WordPress permet d’ajouter des règles de style personnalisées sans toucher aux fichiers du thème. Pour justifier tous les paragraphes d’un site, une simple règle suffit : p { text-align: justify; }. Cette méthode globale convient quand on souhaite appliquer la justification systématiquement. L’inconvénient réside dans l’impossibilité de choisir paragraphe par paragraphe.
Les classes CSS personnalisées offrent une flexibilité supérieure. Gutenberg permet d’ajouter une classe CSS personnalisée à n’importe quel bloc via l’onglet Avancé de ses paramètres. Définir dans le CSS additionnel une règle comme .texte-justifie { text-align: justify; } puis appliquer cette classe aux blocs concernés justifie sélectivement le contenu. Cette méthode combine contrôle fin et propreté technique.
Les thèmes enfants représentent la solution la plus professionnelle pour des modifications CSS étendues. Créer un thème enfant protège les personnalisations lors des mises à jour du thème parent et permet une organisation propre du code personnalisé. Les développeurs et les agences privilégient cette approche pour les sites clients nécessitant des styles spécifiques. Les formations comme celles proposées par Itamde enseignent ces techniques de personnalisation WordPress avancées.
Que réserve l’avenir de la mise en forme dans WordPress
L’évolution de WordPress vers l’édition complète de site et les blocs réutilisables dessine un avenir où le formatage local devient de moins en moins pertinent. Les créateurs définissent des patterns de contenu au niveau global, appliqués ensuite de manière cohérente à travers tout le site. Cette approche systémique améliore la cohérence visuelle mais éloigne encore WordPress de la flexibilité du traitement de texte traditionnel.
Les outils d’intelligence artificielle commencent à influencer la création de contenu dans WordPress. Des plugins intégrant GPT pour générer du texte, suggérer des améliorations ou même optimiser le SEO automatiquement changent la nature même du processus de création. Dans ce contexte, les débats sur les boutons de formatage peuvent sembler anachroniques, vestiges d’une époque où les humains contrôlaient manuellement chaque aspect de leur contenu.
La tension entre simplicité et flexibilité continuera probablement d’animer la communauté WordPress. Chaque nouvelle version apporte son lot de décisions controversées, certaines fonctionnalités disparaissent tandis que d’autres apparaissent. L’écoute de la communauté influence ces choix mais ne les dicte pas entièrement. WordPress reste finalement un produit avec une vision, même si cette vision ne satisfait pas toujours tous les utilisateurs.
La beauté de l’écosystème WordPress réside finalement dans sa capacité à accommoder ces tensions. Les utilisateurs insatisfaits des choix par défaut disposent d’innombrables plugins, thèmes et personnalisations pour adapter l’outil à leurs besoins spécifiques. Cette flexibilité garantit que WordPress peut servir aussi bien un blog personnel minimaliste qu’un site d’entreprise complexe, même si certains compromis s’avèrent nécessaires pour maintenir un produit cohérent accessible au plus grand nombre.


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